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Contaminants émergents Kesako?

Contaminant émergents

Par Valerie Degas

 

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On entend de plus en plus parler de contaminants émergents, mais qu’est-ce qu’un contaminant ? Quelle est la différence avec un polluant ? Émergent, qu’est-ce que cela veut dire exactement quand l’on parle de contaminants ?

 

L’exemple du verre d’eau

Imaginez un verre d’eau, pure, claire, limpide. Maintenant, prenez une goutte de colorant alimentaire rouge et laissez-la tomber dans votre verre. Elle va se diluer et se mélanger avec l’eau qui va perdre sa pureté. Elle reste potable, mais elle est maintenant contaminée par le colorant. Ainsi, dans le verre d’eau, un trouve un contaminant, une substance nouvelle en quantité supérieure à ce qu’est la normale.

Un contaminant est un élément étranger dans un milieu. Sa présence peut être nocive ou peut ne pas l’être.

Un polluant physique, chimique ou biologique est aussi un contaminant, donc une substance que l’on retrouve dans un milieu dans des quantités supérieures aux normes. Ce contaminant devient un polluant quand des effets néfastes sont connus et documentés, que ce soit sur l’environnement, la faune, la flore ou l’humain. Si nous reprenons le verre d’eau limpide et que nous ajoutons de l’arsenic à la place du colorant, ce dernier contaminera et polluera l’eau et la rendra dangereuse et impropre à la consommation.

Un polluant est un contaminant qui est nocif et qui a des effets néfastes sur une ressource ou un environnement.

Quand on utilise le terme de contaminant émergent, on sous-entend qu’il est d’intérêt émergent. En effet, les contaminants émergents ne sont pas toujours de nouveaux contaminants. Cependant, il s’agit de contaminants que l’on trouve en plus grande quantité que la normale et pour lesquels nous n’avons pas ou peu de données. On retrouve notamment :

  • De nouvelles molécules (ex: les médicaments)
  • D’anciennes molécules déjà connues, mais qui réapparaissent sur le devant de la scène et redeviennent d’actualité et d’intérêt (ex: le plomb)
  • Des contaminants qui existent depuis longtemps pour une certaine utilisation et pour lesquels on prend conscience d’une possible dangerosité (ex: le DDT dans les années 60-70) (Sauvé et Desrosiers, 2014).

 

Le cas des médicaments

Les médicaments sauvent des vies tous les jours. On en utilise beaucoup et les nouvelles technologies de mesures des substances dans l’eau permettent de détecter des concentrations très faibles, de l’ordre de moins de 1 ng/L (nanogramme par litre). Pour donner une échelle de grandeur, 2.15 ng/L représente un cube de sucre dans le volume du stade olympique de Montréal. C’est ainsi que Segura et al. (2007) ont pu déterminer que l’on déversait plus d’une tonne d’antibiotiques par an dans le fleuve Saint-Laurent, après passage dans les stations de traitement de l’eau. Ces antibiotiques ne sont à priori pas toxiques pour la faune et la flore, mais aident au développement de biorésistance. 

D’autres médicaments, comme les antidépresseurs qu’on retrouve en quantité importante dans l’eau (Lajeunesse et al., 2008) ont des effets indésirables sur les espèces aquatiques. C’est le cas notamment de l’ibuprofène qui peut causer une augmentation du poids du foie des poissons femelles medaka ainsi qu’une diminution de celui des mâles (Flippin et al., 2007). Également, le benzodiazépine, un médicament contre l’anxiété, a causé des changements dans le comportement des perches d’Europe qui sont devenus plus actifs, moins sociables et s’alimentaient davantage (Brodin et al., 2013). De plus en plus de recherches démontrent des effets néfastes, mais le manque d’informations sur le sujet transforme donc ces médicaments en contaminants (en plus grande quantité que la normale) d’intérêt émergent (car peu documentés pour l’instant).

 

Le plomb, toujours d’actualité ?

Dans la série des substances connues depuis longtemps et qu’on avait un peu oubliées, se trouve le plomb. Connu et utilisé depuis longtemps, ce n’est que dans les années 80 que sa neurotoxicité a été documentée. Depuis, des changements drastiques dans son utilisation ont été faits et en une vingtaine d’années, il est redescendu à des taux 10 fois moins élevés (Boutron et al., 2004).

Cependant, il est revenu au-devant de la scène fin 2019 avec le scandale du plomb dans l’eau des écoles à Montréal (INSPQ, 2019 ; Touzin, 2019). Les concentrations étaient bien en dessous de ce qui était considéré comme toxique dans l’agriculture, mais semblaient tout de même avoir des effets préoccupants. Il est alors devenu un contaminant d’intérêt émergent (voir ré-émergent). Ce composé peut perturber le fonctionnement normal du cerveau des enfants en endommageant de façon irréversible leurs capacités cognitives. Bien que les niveaux mesurés ne soient pas létaux, ils correspondent à une toxicité chronique alarmante (Power Of Prevention, 2014). 

 

Qu’en est-il du DDT ?

Si on prend l’exemple du DDT, il a longtemps été utilisé pour réduire la prolifération des poux, mouches et moustiques et était considéré comme l’insecticide ayant permis de sauver le plus grand nombre de personnes de la malaria et du typhus. On en aspergeait les gens pendant la Deuxième Guerre mondiale en pensant qu'il était inoffensif pour l'humain. Ce n’est que par la suite, en observant des impacts négatifs sur la faune par exemple, que l’on a fait des recherches et pu mettre en évidence la toxicité de ces composés sur l’environnement et les êtres vivants, autres que les insectes. Rachel Carson (1962) dans son livre « Printemps silencieux » a permis de faire passer cette substance du statut de pesticide à contaminant, puis à polluant, lorsqu’on a pu mettre en évidence ses effets sur la disparition des oiseaux et de poissons dans les zones d’épandage. Cette substance s’accumule dans le gras des animaux tout au long de la chaîne alimentaire et entraîne par exemple une faible épaisseur des coquilles d’œufs qui ne résistent pas à la pression et entraîne la mort des oisillons avant leur naissance ou une surmortalité chez les juvéniles de poissons.

Ces trois exemples ne sont pas les seuls cas de molécules préoccupantes. On en découvre régulièrement et même si des études sont faites en laboratoire pour connaître leurs impacts, nombre d’entre elles restent d’intérêt émergent, car l’environnement contient un mélange de ces composés. On peut connaître leurs effets en laboratoire, mais il est beaucoup plus difficile de prévoir leur comportement dans un milieu contenant des substances ou leurs composés de dégradation dont on ne connaît rien ou si peu et encore moins les synergies qu’ils peuvent avoir entre eux. Ce sont leurs interactions qui deviennent alors d’intérêt émergent.

 

Peut-on se protéger de leurs effets potentiellement nocifs ?

On peut faire évoluer les choses ! Il existe plusieurs options pour se protéger contre les effets potentiellement nocifs des contaminants d’intérêt émergents, dont: :

  • Faire des études avant la mise sur le marché. Il faut du temps avant de se rendre compte qu’une substance est toxique. Après sa mise en marche, la substance a pu s’accumuler et se bioamplifier dans les chaînes alimentaires. Il est ainsi beaucoup plus difficile de revenir en arrière. Ses répercussions pourront avoir lieu pendant des décennies. L’anticipation des problèmes liés aux molécules avant leur mise en circulation est stratégique dans la gestion du risque environnemental. Ce type de recherche permet de ne pas avoir à gérer les problèmes de rémanence, de bioconcentration, de bioaccumulation et de toxicités multiples et croisées, et permet d’avoir une longueur d’avance pour la protection de l’environnement et donc de l’humain.
  • Mettre sur le marché des produits qui ont été testés de façon indépendante. De nombreux produits sont mis sur le marché grâce aux études faites par ceux qui les produisent et les vendent (Sauvé, 2019). Cela laisse la porte grande ouverte aux conflits d’intérêts comme on a pu le voir à de nombreuses reprises (cas du DDT et de tous les pesticides qui lui ont succédé).
  • S’informer sur ce que contiennent les produits d’utilisation courante. Il est possible de remplacer certains produits par d’autres ayant des listes d’ingrédients plus courtes, mais dont l’efficacité est la même. En utiliser moins est aussi une option. Pas besoin de couvrir la brosse à dent de dentifrice, une petite noisette et de l’huile de coude font un travail admirable ! Remplacer un détergent agressif par du savon de Marseille et du bicarbonate de soude, etc. La liste des possibilités est longue!

 

Quelques sites à consulter pour commencer à s’informer et s’outiller :

 

Bibliographie

Berryman, D. (2015). Concentrations de médicaments, d’hormones et de quelques autres contaminants d’intérêt émergent dans le Saint-Laurent et dans trois de ses tributaires.

Boutron C., Rosman K, Barbante C, Bolshov M., Adams F., Hong S., Ferrari C. (2004). L'archivage des activités humaines par les neiges et glaces polaires : le cas du plomb. Comptes Rendus Géosciences 336:846-867

Brodin, T., J. Fick, M. Jonsson et J. Klaminder. (2013). Dilute concentrations of a psychiatric drug alter behavior of fish from natural populations. Science, vol. 339, p. 814-815.

Carson, R. (1962). Silent spring ( printemps silencieux). Houghton Mifflin.

Flippin, J. L., D. Huggett et C. M. Foran. (2007). Changes in the timing of reproduction following chronic exposure to ibuprofen in Japanese medaka, Oryzias latipes. Aquatic Toxicology, vol. 81, p. 73-78

INSPQ (Institut National de Santé Publique du Québec). (2019, Février). Présence de plomb dans l’eau des écoles et des garderies : importance du risque et pertinence d’une surveillance à chaque point d’utilisation. Publication n° 2550

Lajeunesse A, Gagnon C*, Sauvé S. (2008). Determination of basic antidepressants and their N-desmethyl metabolites in raw sewage and wastewater using solid-phase extraction and liquid chromatography-tandem mass spectrometry. Analytical Chemistry 80:5325-5333.

Power Of Prevention. (2014) Little Things Matter: The Impact of Toxins on the Developing Brain - YouTube

Santé Montréal (s.d.): Plomb dans l’eau potable

Sauvé, S. (2019, février 22).  La science des pesticides doit être indépendante plaide un chercheur. The conversation.  

Sauvé, S. et Desrosiers, M. (2014). A review of what is an emerging contaminant. Chemistry Central Journal, 8(1), 15. https://doi.org/10.1186/1752-153X-8-15

Segura PA, Garcia Ac A, Lajeunesse A, Ghosh D, Gagnon C, Sauvé S.(2007). Determination of six anti-infectives in wastewater using tandem solid phase extraction and LC/MS/MS. Journal of Environmental Monitoring 9:307-313.

Touzin, C. (2019, octobre 8). Écoles québécoises : trop de plomb dans l’eau. La Presse