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Comment capitaliser sur les femmes, plus naturellement interpellées par l'enjeu climatique?

Capitaliser sur les femmes

Par Élyse Arcand, présidente du Réseau des femmes en environnement

 

Le 24 janvier dernier, le Collectif Communication Citoyenne du Réseau des femmes en environnement a participé à une rencontre sur la création d’une communauté de pratique en communication climatique pour les groupes en environnement, initiée par l’entreprise Copticom. Avec Valériane Champagne Saint-Arnaud[1], Élyse Arcand[2] y a brossé un portrait rapide des liens à établir sur le thème des femmes et des changements climatiques :

Oui, pour toutes sortes de raisons, les femmes sont davantage portées à agir face aux changements climatiques et les solutions qu’elles mettent en place diffèrent de celles préconisées par les hommes.

Il faut aussi retenir que l’empreinte environnementale des femmes est généralement moindre et qu’elles sont plus touchées par les conséquences des changements climatiques.

Non, les êtres humains ne sont pas tous égaux face aux enjeux climatiques, notamment parce que certaines formes de discrimination et de marginalisation liées au genre (tout comme à l’origine ethnique, la religion, le revenu et le statut social, l’orientation sexuelle, l’âge, les déficiences, etc.) persistent dans nos sociétés.

Déjà, la recherche a pu démontrer que l’empreinte carbone individuelle augmente avec le revenu et que les personnes nanties sont mieux protégées des impacts des changements climatiques[3]. On sait aussi que les inégalités sociales sont accentuées en période de catastrophe climatique.

Les distinctions à établir sont d’ailleurs suffisamment significatives pour que la notion de genre soit reconnue et intégrée dans l’accord de Paris et dans le plan d’action Genre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques adopté en décembre 2017.

 

En quoi les hommes et les femmes se distinguent face aux changements climatiques?

 

Sans vouloir perpétuer de stéréotypes, de nombreuses études démontrent que les femmes ont généralement une empreinte carbone plus faible que les hommes en raison de leurs revenus moindres, de leurs habitudes de vie (elles utilisent davantage le transport en commun, consomment moins de viande, etc.) et des normes sociales et culturelles de genre, bien ancrées dans nos sociétés.

De manière générale, les femmes:

  • comptent pour 80 % des réfugiés climatiques (Halton, 2018), disposent de moins de ressources face aux situations climatiques extrêmes (inondation, sécheresse, tornades, etc.), sont plus vulnérables aux impacts des changements climatiques sur leur santé (ex: femmes enceintes et pollution de l’air) (Perera , 2017);
  • sont davantage préoccupées que les hommes par le phénomène des changements climatiques (Pearson et al., 2017);
  • possèdent des croyances pro-climat plus ancrées (McCright, 2010);
  • admettent plus souvent que les changements climatiques sont liés à l’activité humaine;
  • démontrent une meilleure acuité dans la perception des risques qui y sont associés;
  • sont plus susceptibles de s’intéresser aux impacts locaux des changements climatiques, notamment en matière de santé (Chenyang et McCright, 2012);
  • sont généralement plus nombreuses à poser des gestes pro-environnementaux en général (Kennedy et Kmec, 2018) et plus promptes à adopter des changements de comportements, tandis que les hommes sont davantage portés à privilégier des solutions techniques et technologiques à venir en réponse aux changements climatiques[4];
  • ressentent un stress accru face à la problématique, du fait qu’elles passent considérablement plus de temps (rémunéré ou non) à prodiguer des soins à leurs proches.

Outre ces indicateurs, on note que :

  • les décisions de consommation des ménages sont prises à plus de 70 % par les femmes (alimentation, transport, énergie, autres);
  • la majorité des ménages monoparentaux montréalais sont dirigés par des femmes;
  • les femmes figurent en majorité parmi les ainés de 65 ans et plus, une population identifiée comme vulnérable à divers titres.

 

Portrait des Québécoises[5]

 

Les Québécoises sont plus prédisposées que les hommes à s’intéresser à l’enjeu des changements climatiques, parce qu’elles sont davantage:

  • guidées par l’altruisme (48 %) et la biophilie (28 %);
  • préoccupées par les problèmes environnementaux en général (81 %).

Par rapport à l’enjeu spécifique des changements climatiques, elles sont plus nombreuses à:

  • croire qu’il y a urgence d’agir (80 %), qu’il n’est pas trop tard (93 %), que ça concerne leur génération (94 %);
  • se sentir coupables de faire partie du problème (29 %) et à avoir peur (29 %).

Conséquemment, elles sont plus motivées que les hommes à faire leur part (61 %) et elles souhaitent en plus grand nombre que tous les acteurs susceptibles d’avoir une influence dans la lutte contre les changements climatiques prennent leurs responsabilités et en fassent davantage (gouvernements, entreprises, citoyens, etc.).

Finalement, fait intéressant: les femmes sont plus nombreuses que les hommes à vivre des émotions positives lorsqu’elles posent des gestes concrets de lutte contre les changements climatiques (ce qui renforce la probabilité d’enraciner leurs comportements). Elles en ressentent de la fierté (50 %), se sentent utiles (55 %), ont l’impression d’accomplir un devoir moral (53 %), éprouvent davantage un sentiment de connexion humaine (32 %) et sont plus portées à associer action climatique et bonheur (81 %).

Les femmes ayant des enfants adoptent davantage de gestes pro-climat que celles sans enfants, sauf celui de réduire l’utilisation de la voiture. Les femmes avec enfants sont également plus susceptibles d’associer l’action climatique à quelque chose d’utile, de moralement juste et générant une source potentielle de bonheur.

 

Une communication sur les changements climatiques différenciée selon le genre, est-ce requis?

 

Oui et non.

Si on peut clairement affirmer que les femmes sont les «défricheuses» des tendances écoresponsables, on observe aujourd’hui moins d’écarts qu’en 2010 quant à la majorité des comportements de consommation responsable entre femmes et hommes.[6]

 

Conception d’une campagne de communication

L’idée que les femmes puissent seules sauver la planète est fausse. Elles ne le pourront pas plus que les hommes, tant que les institutions et instances décisionnelles resteront dominées par les normes de masculinité en vigueur.

 

Teneur du message à privilégier

  • S’éloigner des stéréotypes;
  • Éviter les références aux genres et ne pas privilégier un sexe en particulier. Différentes situations inégalitaires pouvent souvent se superposer et s’amalgamer, en empêchant de régler un problème systémique plus large;
  • Défier et combattre les normes sociales de masculinité «toxique» nuisant à la lutte aux changements climatiques (concepts socio-culturels persistants) tel que le climatoscepticisme, l’utilisation de la voiture aux dépens du transport en commun, l’attente d’éventuelles solutions technologiques en opposition à des gestes concrets;
  • Susciter l’espoir et présenter des avenues neutres exemplaires déjà réalisées. Renforcer la boucle d’action positive, axer le message sur la capacité d’agir du public. L’adaptation et la résilience sont davantage gage de succès, notamment auprès des femmes;
  • Renforcer le dialogue public et le sens de responsabilité civique, notamment sur les questions d'équité et de justice. Démontrer la force du sentiment d'agir ensemble[7] par rapport aux gestes individuels;
  • Vulgariser et démocratiser le discours techno-scientifique sur les changements climatiques pour le bénéfice de tous les publics;
  • Cadrer les messages destinés aux femmes sous l’angle des risques locaux, notamment ceux liés à la santé des proches;
  • Favoriser la création de communautés où les femmes peuvent échanger sur leur réalités spécifiques et développer un lien avec des pairs ayant des valeurs similaires.

 

Représentation et politiques publiques

Les hommes et les femmes peuvent répondre différement aux politiques publiques, campagnes de sensibilisation et plans d’urgence visant à contrer les effets des changements climatiques.

Ainsi, à titre d’exemple :

  • les femmes ont des moyens souvent trop limités pour acquérir une voiture électrique, même subventionnée;
  • elles éprouvent sentiment de danger accru associé à la pratique du vélo en ville;
  • pour des raisons physiologiques, elles tolèrent moins bien la chaleur extrême, etc.

Admettre un déséquilibre de genre aux niveaux décisionnels (sous-représentés par les femmes) est un premier pas pour aplanir les inégalités. Une analyse différenciée tenant compte des besoins de tous les groupes de citoyens et proposant des mesures d’ajustements justes, neutres et priorisées pourra éliminer – plutôt qu’exacerber les inégalités entre les sexes ou les personnes face aux changements climatiques.

Les femmes sont des agentes de changement incontournables dans leurs communautés, tant au niveau du partage d’information et de connaissances, de la prise de décision et de la mobilisation que de l’éducation.

Les femmes qui se lancent en politique le font souvent pour des enjeux de santé et de justice sociale, elles veulent agir rapidement et celles occupant des postes de leadership dans les gouvernements sont plus susceptibles d’adopter des politiques pro-climat (Norgaard et York, 2005). La socialisation genrée serait susceptible de créer un système de valeurs différencié (ex: une plus grande importance est accordée à l’altruisme et à la compassion chez les femmes, des valeurs qui prédisposent à l’action proenvironnementale) (Ballew et al., 2018).

Les décisions de femmes ne seront nécessairement différentes de celles de leurs collègues masculins (notamment en raison de notre héritage culturel collectif et de l’éducation reçue) mais une représentation égale est essentielle pour multiplier les points de vue.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que le Réseau des femmes en environnement travaille actuellement à l’élaboration d’outils d’accompagnements sur l’environnement à l’intention particulière des femmes qui envisagent une carrière en politique municipale. Dossier à suivre.

 

Note en bas de bas

[1] Valériane Champagne-Saint-Arnaud, chercheure postdoctorale à l’Université Laval et co-auteure du Baromètre de l’action climatique au Québec

[2] Élyse Arcand, membre du Collectif Communication Citoyenne et  présidente du Réseau des femmes en environnement

[5] Selon les plus récentes données compilées par le Laboratoire sur l’action climatique (Champagne St-Arnaud et Daignault, 2020)

[7] Corner, Adam & Randall, Alex. 2011. « Selling climate change ? The limitations of social marketing as a strategy for climate change public engagement » Global Environmental Change. 21 :1005-1014, DOI:10.1016/j.gloenvcha.2011.05.002.

 

Sources

Alber, Gotelind, Gender and Climate Communication Toolkit, Greens, EFA Group in the European Parliament, Bruxelles 2018.

Réseau des femmes en environnement, Montréal, leader climatique – L’intégration du genre dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, Pistes d’actions  - Sommaire, Mémoire soumis à l’Office de consultation publique de Montréal, mars 2016.

Ballew et al. (2018) Gender Differences in Public Understanding of Climate Change. Yale Program on Climate Change Communication.

Champagne St-Arnaud, V. et Daignault, P. (2020). Baromètre de l’action climatique 2019 : disposition des Québécois et des Québécoises face aux défis climatiques. Québec, Laboratoire sur l’action climatique, collaboration entre Unpointcinq et l’Université Laval.

Chenyang Xiao & Aaron M. McCright (2012) Explaining Gender Differences in Concern about Environmental Problems in the United States, Society & Natural Resources, 25:11, 1067-1084, DOI: 10.1080/08941920.2011.651191.

Leiserowitz, A., Smith, N. & Marlon, J.R. (2010) Americans’ Knowledge of Climate Change. Yale University. New Haven, CT: Yale Project on Climate Change Communication.

Halton, M. (2018, 8 mars). Climate Change Impact More Women Than Men, BBC news.  

Kennedy & Kmec (2018) Reinterpreting the gender gap in household pro-environmental behaviour, Environmental Sociology, 4:3, 299-310, DOI: 10.1080/23251042.2018.1436891.

McCright, A. (2010). The effects of gender on climate change knowledge and concern in the American public. Population and Environment, 32(1), 66-87. Retrieved January 22, 2020.

Norgaard, K., & York, R. (2005). Gender Equality and State Environmentalism. Gender and Society, 19(4), 506-522. Retrieved January 21, 2020.

Pearson, A., Ballew, M., Naiman, S., & Schuldt, J.  (2017, April 26). Race, Class, Gender and Climate Change Communication. Oxford Research Encyclopedia of Climate Science. Retrieved 21 Jan. 2020.

Perera F. (2017). Pollution from Fossil-Fuel Combustion is the Leading Environmental Threat to Global Pediatric Health and Equity: Solutions Exist. International journal of environmental research and public health, 15(1), 16. doi:10.3390/ijerph15010016.