Portrait de membre : Le parcours de Blandine Tchamou

21 février 2025

Portraits de membres

Blandine Tchamou a fait de l’activisme pour l’accompagnement des populations à la gestion de leur environnement au Cameroun de 1999 à 2012. Elle reprend ses études de 2013 à 2022 en France, en finaissant par une thèse de doctorat. Blandine est actuellement postdoctorante de l’Université de Corse pour le centr’ERE (Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté) à l’université du Québec à Montréal (UQAM).

Quelles sont vos principales préoccupations environnementales en ce moment ?

La gestion adéquate des déchets est une préoccupation constante pour moi. Je constate à quel point les institutions procèdent à une définition des problématiques environnementales particulièrement distantes et floues qui facilitent la non responsabilisation de tous. Par transposition au contexte de préoccupations environnementales, nous assistons au déploiement de ce que Didier Fassin a appelé la « biolégitimité » c’est-à-dire « la manière dont les problèmes [environnementaux] trouvent, non pas leur solution, mais leur expression la plus autorisée dans le langage [des institutions] ». Dans l’expression des institutions et de tous ceux qui gravitent autour de la question des déchets, il est uniquement question « d’économie circulaire ».  L’amélioration des rapports des populations avec leurs déchets reste largement ignorée.  

Quelles sont vos stratégies pour lutter contre l’éco anxiété ? 

Les pratiques institutionnelles actuelles sont sources d’éco anxiété car elles déploient une stratégie quasi permanente pour inquiéter et désigner le problème de franchissement de frontières planétaires sans réellement faciliter l’action des populations. Pour ma part, agir reste le meilleur remède : participer à des initiatives locales, sensibiliser mon entourage ou adopter des gestes écoresponsables m’aident à transformer mes inquiétudes en énergie constructive. Chaque action, aussi modeste soit-elle, est une étape vers un avenir plus serein et durable.

Écoféministe ou pas ?

Je suis préoccupée par toutes les pratiques non éthiques de dominations quelles que soient les victimes et les bourreaux.  Les femmes comme plusieurs catégories de populations sont discriminées, alors que leur prise en compte effective serait un atout pour la société. Sur le plan environnemental, toutes les personnes travaillant en lien avec les déchets sont discriminées, même dans des processus « exemplaires » visant la préservation de l’environnement. Cette injustice qui a cours dans les milieux « écologiques » où les femmes sont de plus en plus représentées est peu identifié et la situation ne semble pas s’améliorer.

Qu’est-ce que le Réseau des femmes en environnement représente pour vous ? 

Le Réseau des femmes en environnement représente pour moi une opportunité précieuse : celle de tisser des liens avec des personnes partageant non seulement des préoccupations et contraintes similaires, mais aussi un engagement concret pour améliorer notre environnement. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous consacrer à l’éducation à l’environnement, et plus particulièrement à la question de la gestion des déchets ?

Je suis née et j’ai grandi dans un pays, le Cameroun, où les infrastructures de collecte et de gestion des déchets sont presque inexistantes pour la majorité de la population. Un voyage au Nigéria voisin en 1997, puis plusieurs séjours en Suisse entre 1998 et 2001, m’ont permis de comprendre que la gestion adéquate des déchets reflète des rapports apaisés entre les populations et leurs matières résiduelles. Cela constitue une ressource essentielle pour la préservation durable de l’environnement

Parlez-nous de votre thèse “La ville éducatrice à l’épreuve de l’écocivisme. La gestion des déchets comme repère et indice” !

Il est difficile de parler d’une thèse en quelques lignes. Elle est disponible en accès libre sur thèse.fr. Ma thèse part de mon interrogation en rapport à la gestion inadéquate des déchets de par le monde. Je me suis particulièrement intéressée aux déchets sauvages diffus (littering), qui est le fait de jeter ou d’abandonner sur la voie publique de petites quantités de déchets urbains, sans utiliser les infrastructures prévues. Cette catégorie de déchets est présente dans tous les pays et milieux du monde et représente pour moi l’indice le plus marquant de l’incompétence des humains à gérer adéquatement leurs déchets.

J’ai observé la présence de ces déchets dans tous mes déplacements à travers de nombreuses villes d’Europe et d’Afrique. Les articles de journaux et les travaux d’autres chercheurs m’ont signalé leur présence dans divers pays. La covid 19 avec l’utilisation des masques, gangs et des lingettes par les populations a rendu « visible » le littering, et a suscité l’indignation en raison de l’observation mondialement répandue de l’abandon de ces équipements de protection individuel dans l’espace public.  L’organisation de nombreuses corvées de ramassage des déchets au printemps et en automne vise à répondre à cette problématique. Les chercheurs Chris Sibley et James Liu ont caractérisé deux formes de littering. Ma recherche identifié cinq formes supplémentaires.

 Ma thèse analyse les freins institutionnels, contextuels et sociaux qui pourraient expliquer cette situation. Aux prismes de quinze préceptes admis en sciences de l’éducation, j’analyse les pratiques actuelles mises en place pour faire face à cette situation et je fais le constat de leur non prise en compte. Je rappelle que les compétences de gestions adéquates des déchets, officiellement valorisées par l’éducation formelle s’acquièrent à travers l’éducation non formelle, informelle et l’autodidaxie. Toutes les formes d’éducation sont donc nécessaires et contribuent ainsi de l’éducation sociale globale qui caractérise la notion de la ville éducatrice.  

L’éducation à l’environnement, et plus particulièrement la gestion des déchets, est une cause qui vous tient à cœur. Quels principes ou valeurs personnelles vous guident dans votre travail quotidien et vos actions ?

Oui, l’éducation à la gestion des déchets me tient particulièrement à cœur par ce qu’elle représente un pouvoir quotidien disponible pour chaque être humain.  C’est pour moi la compétence sociale et environnementale la plus efficace qui reflète la prise en compte des enjeux de paysage et d’assainissement de son environnement immédiat. Malheureusement, je fais le constat pour l’ensemble des collectivités que j’ai analysées de la justesse de la chercheuse Amy Zhang qui décrit un mode de gouvernance techno-scientifique et spectaculaire verte concernant la gestion des déchets qu’elle observe en Chine. Pourtant, le matériel et la technique ne devraient représenter qu’environ 30% de la démarche de gestion adéquate des déchets.

Je suis née et j’ai grandi dans un contexte où notre éducation consistait à nous débarrasser de nos ordures en les jetant à l’eau, en les abandonnant dans des espaces sans surveillance, en les enterrant ou en les brûlant lorsque nous n’avions pas accès à l’eau. Ces pratiques pourraient se justifier par l’absence ou l’éloignement (parfois à plus d’un kilomètre) des circuits et infrastructures de collecte des déchets mises en place par quelques collectivités au Cameroun. Mais l’observation des pratiques réelles apportent des données contradictoires puisque même dans les édifices publics où les camions entrent dans leur enceinte pour récupérer les déchets, une partie de ces derniers est abandonnée dans un coin de l’enceinte et dégouline vers des ravins, ils sont regroupés dans des trous ou sont brûlés au sein de ces enceintes institutionnelles bien desservies par la collecte municipale. J’ai observé ces pratiques inadéquates notamment de brûlage des déchets dans certaines régions de France pourtant bien desservies par la collecte municipale. 

Par ces observations, je partage l’analyse de Gareth Hardin qui dans son ouvrage The Tragedy of the Commons (La tragédie des biens communs) paru en 1968, explique que la pollution (il identifie trois autres problématiques) qui est un ajout d’une matière indésirable dans l’espace commun est un problème humain et non matériel ou technique. C’est une problématique humaine qui nécessite, la réflexion collective, l’engagement de chacun vers la transformation des valeurs humaines soutenue par la coercition sociale. 

Quotidiennement, je cherche à peaufiner mon analyse de la situation, à travailler pour l’expérimentation d’une didactique pour l’acquisition des compétences de gestion adéquate des déchets par l’ensemble de la population. Je mène mes expérimentations à travers l’encouragement des personnes qui s’engagent à acquérir ces compétences. 

Je suis en lien avec l’association Sollicité gestionnaire de l’éco-quartier Ville-Marie de Peter-McGill qui continue d’animer les composteurs collectifs dans différents lieux. C’est une très bonne chose car le compostage de proximité favorise une l’acquisition de compétences de gestion des déchets plus autonome et durable. Malheureusement, de nombreuses structures hésitent à s’engager dans le compostage de proximité en raison des aprioris ou abandonnent dès l’apparition de la première difficulté. Accompagner les structures qui le souhaitent à persévérer dans cette démarche est essentiel.   

Je fais donc tout ce que je peux pour favoriser la pratique du compostage par les citoyens.  J’ai animé des ateliers autour du compostage dans une récente mission, en France et au Cameroun. Je me tiens au courant et encourage tous ceux qui s’y sont engagés à poursuivre leurs pratiques de compostage et de valorisation de leurs déchets non biodégradables en les intégrant dans les filières informelles de récupération qui heureusement se mettent en place.

Vous semblez avoir un profond respect pour l’interculturalité, notamment avec votre expérience d’engagement dans différents pays. Comment cette ouverture aux cultures et aux perspectives différentes a-t-elle façonné votre vision de l’écologie et de l’éducation ?

C’est parce que j’ai quitté mon Cameroun natal en 1997 que j’ai pu observer des pratiques différentes de gestion des déchets au Nigéria voisin et ensuite en 1998 en Suisse. Aller vers d’autres cultures permet de se rendre compte des différentes pratiques développées en interaction avec l’environnement. J’ai eu la chance de me rendre dans plusieurs pays en Afrique, en Europe et à présent en Amérique du nord. Il est essentiel non seulement pour chacun d’observer les pratiques dans sa quotidienneté, mais aussi d’échanger et d’aller voir, et expérimenter ce que l’on fait dans le quartier, la ville, le pays d’à côté.  

Le fait d’être allée vers les personnes issues de divers contextes et de discuter avec elles m’ont permis de tirer des traits caractéristiques valables pour toutes ces aires géographiques. Je me suis rendue compte du fait que la plupart d’entre elles ne connaissent pas la nature et le potentiel des déchets qu’elles produisent et manipulent. Elles entretiennent souvent un rapport de rejet, distancié et non responsable avec leurs déchets. Heureusement, surtout dans les pays occidentaux, de plus en plus de personnes s’engagent dans une démarche de gestion adéquate de leurs déchets. Plus globalement, les personnes qui semblent sensibles à la question et voudraient apporter des changements dans leurs pratiques sont souvent découragées par la difficulté et le temps long nécessaire pour un changement durable. Le découragement le plus important vient des nombreuses incohérences des institutions et organisations sensées promouvoir l’acquisition des compétences de gestion adéquate des déchets ainsi que d’une société où la majorité de la population participe peu aux efforts d’amélioration.  Il est donc nécessaire d’analyser et d’expérimenter une didactique populaire de la gestion adéquate des déchets.  

Avez-vous un mot de la fin ?

Je souhaiterais entrer en contact avec les personnes qui agissent ou qui souhaitent agir pour l’accompagnement (je préfère le mot accompagnement dans ce cas précis à éducation) des populations à l’amélioration de la gestion de leurs déchets. Pour accéder à ma thèse https://theses.hal.science/tel-04202911 

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