Portrait de membre : Marie-Christine Lafrenière

16 juillet 2025

Nouvelles

Marie-Christine Lafrenière est récemment détentrice d’un doctorat en biologie. Plus spécifiquement, ses travaux portaient sur le devenir de contaminants émergents, les métaux de terres rares dans l’eau, les sédiments et les organismes du fleuve Saint-Laurent et d’autres rivières du Québec. Au cours de son doctorat, elle a développé ses compétences en communications scientifique en élaborant une bande dessinée de son premier chapitre de thèse, une vidéo explicative de son projet, des infographies pour le Lexique nordique de l’Institut Nordique du Québec, et le podcast Les Lucioles, toujours actif.  Elle s’est aussi investie dans l’animation d’atelier sur des thématiques d’Équité, Diversité et Inclusion ainsi que sur la vulgarisation scientifique par le balado. Dans ses temps libres, elle aime observer les oiseaux et les planctons, lire, écrire, peinturer et jouer au ping-pong.

Quelles sont vos principales préoccupations environnementales en ce moment ?

Très localement, ce seraient les vagues et les ilots de chaleurs à Montréal, effet direct des changements climatiques et de l’inadaptation des villes, leur imperméabilité, leur manque d’espace verts, leur accès pour la population, particulièrement celle plus vulnérable, et l’accès à l’eau. 

Beaucoup d’enjeux me préoccupent régulièrement, comme l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des feux de forêts, l’appauvrissement en oxygène de l’estuaire du Saint-Laurent, la fonte du pergélisol, la destruction des milieux humides, le déclin tragique des caribous forestiers et montagnards, etc. 

Quelles sont vos stratégies pour lutter contre l’éco-anxiété ? 

Ironiquement, je suis autant stimulée intellectuellement à comprendre les enjeux environnementaux, que dévastée de constater leurs impacts. On dirait une malédiction. 

Pour m’aider l’éco-anxiété résultante, j’essaie de prendre action à la hauteur de mes moyens. Par exemple, la création du podcast Les Lucioles me permet d’être informée des enjeux environnementaux actuels, ce qui stimule ma curiosité, me connecte à ma communauté et la sensibilise à ces enjeux. L’intégration d’habitude de vie plus durable (végétarisme, choix des aliments, déplacement actifs, zéro déchet) me permet également d’agir à mon échelle et de me sentir minimalement utile et cohérente. 

Je pense qu’il est aussi très important de cultiver notre émerveillement pour la nature en prenant soin d’observer ses subtilités. Par exemple, en observant et en identifiant les oiseaux, les planctons, ou les invertébrés aquatiques et en déposant mon regard un peu partout en activité de plein air. En écoutant très souvent les séries documentaires de James Cameron, spécifiquement celle intitulée Le secret des baleines

Écoféministe ou pas ? 

Face à la montée des mouvements masculinistes, pétromasculinistes et d’extrême droite, je me sens plus que jamais ancrée dans mon engagement écoféministe, tant dans ma vie publique que privée. La destruction de l’environnement et l’oppression des personnes vulnérables sont profondément interconnectées, et j’observe quotidiennement l’importance cruciale des femmes dans la recherche de solutions à ces crises, que ce soit à travers l’éducation ou la sensibilisation aux enjeux écologiques. Mon écoféminisme s’étend également à l’écriture : j’ai récemment rédigé une nouvelle littéraire qui explore la survie des caribous femelles en Gaspésie, tout en établissant un parallèle avec la résilience des femmes chercheuses. J’ai hâte de la faire découvrir publiquement.

Qu’est-ce que le Réseau des femmes en environnement représente pour vous ? 

Un réseau de femmes qui se soutiennent, se valorisent et s’élèvent mutuellement, créant ainsi un espace de solidarité qui renforcent nos capacités à faire face aux crises environnementales et sociales. Le réseau m’a permis de me sentir vue et encouragée dans mes initiatives, et de connaître celles des autres. Je me tiens aux faits des offres d’emplois partagées, des portraits, des événements. C’est beau, un collectif c’est puissant.

Parlez-nous de votre parcours…

Je suis originaire de Louiseville, en bordure du Lac Saint-Pierre. Mon intérêt pour la nature, pour le fleuve et ses bélugas s’est infiltré subtilement dans mes travaux au secondaire et au cégep. Ensuite, j’ai entrepris un baccalauréat en biologie à l’Université de Montréal, sans trop savoir ce qui m’allumait vraiment. Puis, en suivant un cours de Chimie de l’environnement, j’ai tout de suite su que la compréhension des grands enjeux environnementaux me stimulait profondément, de leur raison moléculaire ou chimique jusqu’à leur impact à l’échelle du paysage, et même humain.

Ensuite, j’ai poursuivi un stage de recherche, un emploi d’été et un programme de recherche honor dans le laboratoire de Marc Amyot en écotoxicologie et changements globaux. Via mon travail au sein de ce laboratoire, partagé avec celui de Jean-François Lapierre en biogéochimie aquatique, j’ai eu l’occasion d’échantillonner le fleuve Saint-Laurent à bord du navire de recherche le Lampsilis et j’ai été autant émue que captivée intellectuellement. Mon projet de recherche de projet honor, de maîtrise et de doctorat s’est donc dessiné les deux pieds sur le fleuve, entre deux vagues et plusieurs émerveillements. J’ai donc travaillé pendant presque 8 ans à comprendre le devenir des métaux de terres rares, des métaux considérés en tant que des contaminants émergents, dans l’eau, les sédiments et les organismes du fleuve Saint-Laurent et d’autres rivières du Québec.

Je pense que d’avoir été aussi bien entourée dès mes débuts dans le laboratoire a fortement contribué à construire une image positive, dynamique et collaborative de la recherche et m’a ainsi mise en confiance pour poursuivre mes ambitions académiques. La suite a été culbuteuse et merveilleuse, et m’a donné la flexibilité de démarrer ou participer à des initiatives qui sont cohérentes avec ma personnalité, comme le podcast Les Lucioles, la création d’une bande-dessinée, d’une vidéo explicative et des infographies, un programme de diplomatie scientifique, et j’en passe. Je suis maintenant dans une période de transition, entre la fin de mon doctorat, et le début de nouvelles opportunités.

Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre des études aussi spécialisées, et comment cela aligne-t-il vos valeurs personnelles et professionnelles ?

D’une part mon éco-anxiété et de l’autre part, mon œil attentif pour la beauté de la nature ainsi que la justice sociale. En envisageant une carrière qui répond spécifiquement à mes valeurs profondes, soit de comprendre les changements environnementaux ou le devenir des contaminants dans l’écosystème tout en m’investissant dans la création d’outils de vulgarisation scientifique pour partager ces connaissances, je pense pouvoir m’épanouir et être heureuse à long terme.

Parlez-nous de votre podcast, Les Lucioles. Comment aimeriez-vous qu’il évolue dans le futur, et quel impact espérez-vous qu’il ait ?

Lors de ma soutenance de thèse, on m’a demandé quelle était la réalisation dont j’étais la plus fière dans mon parcours. Sans hésiter, j’ai répondu que la création du podcast Les Lucioles en était l’aboutissement le plus marquant. Ce podcast met en lumière la recherche en environnement à travers des entrevues vulgarisées avec des étudiant·es gradué·es et des invité·es de divers horizons.

Après trois saisons, l’impact humain de ce projet est indéniable et particulièrement enrichissant. Dès le départ, l’un de nos objectifs principaux était de créer un lien entre les étudiant·es chercheur·euses et leur entourage, en brisant les barrières entre le monde scientifique et le grand public. Nous voulions leur offrir l’espace de s’exprimer longuement sur ce qui les passionne, mais qui, parfois, peut les isoler. Les retours que nous avons reçus de la part des participant·es et de leur entourage sont émouvants : plusieurs ont partagé avoir ressenti une vague d’amour et de soutien, ce qui les a motivé·es à poursuivre leurs travaux. Ce souvenir me remplit encore de bonheur. Un étudiant en mathématiques de premier cycle m’a même abordée pour me remercier, m’expliquant que le podcast avait contribué à déconstruire ses préjugés sur la recherche et l’avait encouragé à entamer une maîtrise. Ces témoignages sont la preuve que, malgré des moyens limités, Les Lucioles, soutenu par une équipe de femmes formidables, a déjà un impact humain significatif.

L’impact se mesure aussi à travers nos nombreuses invitations à animer des ateliers de communication scientifique ou à participer à des panels. Cela nous permet de promouvoir l’utilisation du balado comme outil de diffusion des savoirs au sein de la communauté scientifique, un format particulièrement bien adapté à notre mode de vie et encore plus accessible que beaucoup ne le pensent. En fin de compte, notre motivation principale reste de rendre la recherche plus accessible à la communauté, tout en offrant aux scientifiques des outils pour devenir plus autonomes dans la vulgarisation de leurs travaux.

Pour l’avenir, nous espérons produire une quatrième saison, même si cela devient financièrement difficile, d’autant plus que ma co-animatrice Stéphanie est récemment devenue maman, et que nous avons toutes les deux terminé nos études. Nous aimerions continuer à créer des ponts entre les chercheur·euse·s et leur milieu, tout en mettant davantage en valeur la diversité de la relève scientifique francophone, la littératie scientifique au sein de la communauté, et l’émerveillement pour le monde qui nous entoure. N’hésitez pas à nous contacter pour des idées ou des suggestions d’invité·es.

En tant que femme dans un domaine scientifique, avez-vous rencontré des défis particuliers ?

Oui, je pense que, pour plusieurs, l’impact est souvent diffus et difficile à identifier immédiatement, mais l’accumulation de ces petits événements crée une hostilité insidieuse et épuisante pour les femmes. Cela peut freiner leur intégration et leur épanouissement dans le milieu académique. Il est crucial que les directions de recherche adoptent une posture plus proactive et engagée, en s’éduquant sur les biais inconscients, le féminisme et le harcèlement, et en ouvrant la discussion sur ces thématiques lors des réunions de laboratoire. Il est également nécessaire d’évaluer avec plus de rigueur les angles morts concernant la sécurité des femmes et des minorités, que ce soit sur le terrain ou dans des milieux isolés.

Je constate cependant des signes de changement au sein des regroupements de recherche, et j’espère voir plus d’hommes (allié·s) s’impliquer activement dans les comités d’Équité, Diversité et Inclusion (EDI) et les initiatives de vulgarisation scientifique. Il est essentiel que l’éducation de la communauté scientifique sur ces enjeux ne repose pas uniquement sur les épaules des femmes, qui sont souvent déjà sensibilisées à ces questions, mais qui, comme leurs collègues masculins, doivent aussi consacrer du temps et de l’énergie à leur propre recherche.

Quelles sont les futures directions de carrière que vous aimeriez explorer pour développer votre expertise et votre engagement ?

J’ai acquis une expertise scientifique de pointe dans un domaine en pleine effervescence, la biogéochimie des métaux de terres rares, tout en développant plusieurs initiatives et compétences en communication et vulgarisation scientifique. Aujourd’hui, si je peux combiner ces deux champs d’intérêt avec mon engagement social et politique dans le cadre d’un grand projet de recherche, aussi déstabilisant soit-il, je crois que cela me passionnerait profondément. C’est dans cette synergie entre science, communication et engagement que je vois une source d’épanouissement et d’impact réel.

Avez-vous un modèle ou une figure féminine en science qui vous inspire particulièrement dans votre parcours ? 

J’en ai beaucoup et ma liste évolue constamment. Celle qui m’a d’abord fascinée et qui a piqué mon intérêt pour la science environnementale et son impact sociétal, c’est Rachel Carson, biologiste marine, vulgarisatrice scientifique et autrice du roman Silent Spring dénonçant les impacts écosystémiques du DDT. Également, Sheila Watt-Cloutier pour son implication dans l’interdiction de la production des polluants organiques persistants, pour ses luttes constantes, et pour le Droit au Froid. J’admire aussi beaucoup l’engagement et l’impact communautaire des travaux de recherche de Josée Gérin-Lajoie et de Catherine Potvin. 

Un mot de la fin ? 

Je me répète, le collectif c’est puissant. C’est validant, c’est énergisant et ça nous autonomise dans nos luttes communes et respectives.

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