Pesticides : impacts d’une contamination persistante

24 janvier 2022

Consommation responsable Santé environnementale

Si Rachel Carson et son Printemps silencieux (premier ouvrage sur le scandale des pesticides, 1962) ont joué les lanceurs d’alerte sur la pollution par les pesticides, les recherches sur les impacts des pesticides ont commencé bien avant et continuent depuis. Alors que de nouveaux pesticides sont créés régulièrement entre autres, pour lutter contre les “ennemis” des cultures, ils se retrouvent inévitablement dans l’environnement ayant des impacts indésirables sur la santé environnementale. Nombre de scientifiques en évaluent leur toxicité et les suivent de près.

Qu’est-ce qu’un pesticide?

Selon le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, un pesticide est un « produit conçu pour détruire des organismes considérés comme indésirables ou nuisibles » (MELCC, 2021).

Au niveau fédéral, l’appellation utilisée est celle de produit antiparasitaire, défini comme un « produit, substance ou organisme – notamment ceux résultant de la biotechnologie – constitué d’un principe actif ainsi que de formulants et de contaminants et fabriqué, présenté, distribué ou utilisé comme moyen de lutte direct ou indirect contre les parasites par destruction, attraction ou répulsion, ou encore par atténuation ou prévention de leurs effets nuisibles, nocifs ou gênants. »

Que contiennent les pesticides ?Les pesticides contiennent des principes actifs qui sont à l’origine de l’action de destruction et des adjuvants, aussi appelés formulants ou matières inertes (ce qui ne veut pas dire sans effet). Parmi les principes actifs, on retrouve par exemple le glyphosate, l’atrazine, le thiaméthoxame, etc. Leur nom est indiqué sur les étiquettes. Les formulants, quant à eux, viennent améliorer les propriétés physiques du pesticide. Ils permettent, par exemple, d’obtenir une meilleure dispersion ou stabilité du produit. On retrouve notamment le kérosène, l’huile de paraffine de pétrole, mais aussi le sirop de maïs, le miel, le caramel, etc. (ARLA, 2021). Ces composés n’apparaissent pas sur l’étiquette du pesticide.

Les pesticides sont utilisés pour différents usages. Ils le sont principalement pour l’agriculture, notamment en agriculture «conventionnelle», qui est le système agricole le plus pratiqué à travers le monde et reste la principale façon de produire des fruits et des légumes.  Ce système de production agricole repose sur l’usage d’engrais chimiques et de pesticides. Les pesticides peuvent également être utilisés dans les municipalités pour l’entretien des parcs et pelouses par exemple, et également dans les maisons pour éviter la présence d’espèces indésirables telles que les rongeurs, les poux, les puces et les punaises de lit. 

Il existe plusieurs façons de classer les pesticides. Cela se fait selon leur utilisation (insecticide, fongicide, rodenticide, etc.), leur composition (carbamates et organophosphorés , organochlorés, pyréthrinoïdes, etc.), leur toxicité (cancérigène, hépatotoxique, immunotoxique, etc.). En faire la liste serait long et fastidieux en plus d’être incomplet. Il est difficile de connaître tous les types de pesticides présents dans l’environnement ainsi que leurs concentrations et leurs sous-produits de dégradation, mais on peut considérer 5 grandes familles de pesticides :

  1. Les organochlorés : Ils servent à contrôler les organismes nuisibles, mais sont persistants dans le sol, les aliments et les organismes humain et animal.
  2. Les organophosphorés : Ils sont issus de l’acide phosphorique. Ils entrent en compétition avec l’acétylcholine, impliquée dans la contraction et le relâchement musculaire, perturbant le passage de l’influx nerveux au niveau des synapses. Ceci peut entraîner une tétanie. Les organochlorés peuvent donc être neurotoxiques.
  3. Les organométalliques : Il s’agit d’un composé chimique ayant au moins une liaison entre un atome de carbone et un métal.
  4. Les pyréthrinoïdes : Il s’agit de composés synthétiques dérivés des pyréthrines, substances naturelles issues de fleurs de pyrèthre ou de chrysanthèmes qui agissent comme insecticide. Ils ne provoquent pas toujours la mort des insectes, mais ils peuvent avoir des effets néfastes sur leur développement.
  5. Les néonicotinoïdes : Il s’agit de la classe d’insecticides la plus utilisée dans le monde. Ils sont connus pour leurs effets secondaires sur les abeilles ( Bonmatin et al., 2015), les papillons ( Gilburn et al., 2015) et sur les oiseaux (Stanton et al., 2018)

Quelles sont les effets sur l’environnement?

Ces pesticides sont épandus largement sur les cultures, dans les lieux de stockage pour limiter la prolifération des ravageurs, sur nos têtes ou sur les animaux de compagnie pour le traitement des poux, etc. Dans le milieu agricole, que ces épandages soient faits par drone, avion, tracteurs ou à la main, on retrouve des pesticides un peu partout dans l’air, le sol et l’eau. La figure 1 montre le devenir de ces composés dans notre environnement et à travers le cycle de l’eau. Ils peuvent être transportés par les courants atmosphériques et se retrouver à des milliers de kilomètres. Pendant ces trajets, ils ont aussi de bonnes chances d’être ramenés au sol par les précipitations. On comprend alors que tous les compartiments de notre planète soient ainsi touchés. Les précipitations ou l’eau d’arrosage va entraîner dans le sol les pesticides non stockés dans les plantes ou leurs cibles (insectes, rongeurs, « mauvaises herbes », etc.). Des études ont montré par exemple que 100% de certains sols agricoles contenaient des pesticides (Pelosi et al., 2021). 

L’effet des pesticides sur la santé, Pierre-Henri VILLARD Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie

Prenons le cas des polluants organiques persistants (POPs), substances reconnues comme étant une menace grave pour les écosystèmes et la santé humaine. Les POPs, qu’on retrouve aujourd’hui au nombre de 30, ont comme caractéristiques d’être persistants dans l’environnement, c’est-à-dire qu’ils résistent à la dégradation biologique naturelle, se dégradent très lentement dans l’environnement et se bioaccumulent dans les organismes. Cela augmente leur durée de vie dans le milieu. L’exposition aux pesticides mènent :

  • À la diminution de la biodiversité : En plus de tuer les espèces visées, les pesticides sont omniprésents dans l’environnement, contaminent la chaîne alimentaire et affectent d’autres espèces nons visées. Certains ennemis naturels contre les ravageurs des cultures sont également touchés, tout comme certaines populations d’oiseaux, de reptiles, de poissons sont affectées (Marlatt et al., 2022). 
  • Au déclin des pollinisateurs : Pourtant essentielles à la production des fruits et légumes, les abeilles sont fortement touchées par les pesticides.
  • À la dégradation de la santé des sols : Les pesticides affaiblissent divers organismes vivants présents dans les sols tels que des bactéries, des champignons, des vers de terre et des insectes. L’affaiblissement de cette microflore nuit à la fertilité du sol.

Les pesticides contaminent également les eaux de surfaces et les eaux sous-terraines

Par ruissellement, les eaux de surfaces peuvent transporter les pesticides jusqu’aux rivières, étangs, fleuves ou alimenter les nappes phréatiques. Le fleuve St-Laurent est l’objet de prélèvements et d’études et bien que l’on puisse voir des améliorations sur certains points, il reste un fleuve contenant de nombreux pesticides et de sous-produits de dégradation (Montiel et al., 2019). On retrouve donc de nombreux contaminants émergents (voir article Kesako) dont on ne connaît pas encore les effets sur la faune et la flore et dont on ignore également les mécanismes de toxicité croisée avec d’autres contaminants du milieu.

Quels dangers représentent-ils pour la santé humaine?

Du fait de leur présence un peu partout autour de nous et en particulier dans l’eau dont nous ne pouvons pas nous passer, nous sommes exposés en permanence à ces pesticides. Dès notre conception, nous sommes en contact, à plus ou moins fortes doses, de façon chronique (répétitive dans le temps) ou aiguë (de façon unique) avec une multitude de pesticides. Pendant longtemps on a pensé que « la dose faisait le poison ». On sait désormais que les choses sont plus complexes. Une exposition faible, mais sur une plus ou moins longue période, peut conduire à des effets nocifs.

C’est le cas par exemple avec la maladie de Parkinson. Selon le mémoire déposé par Parkinson Québec (Rigal, 2019), une exposition chronique va jusqu’à tripler les risques de développer cette maladie neurodégénérative dans le cadre d’un usage professionnel ou d’une exposition passive à partir de 10 jours par an. Incurable à ce jour, cette maladie dégénérative coûte plus de 22 000 US$ en frais médicaux directs par malade et par an. Ce document fait la synthèse de 8 méta-analyses entre 2000 et 2019 et rappelle que si certains pesticides ont été interdits dans certains pays, ils sont encore utilisés au Canada. Dans la liste des pesticides incriminés, certains ne sont plus utilisés depuis longtemps, mais leur haute persistance fait qu’on les retrouve toujours dans l’environnement. Le DDT en est un triste exemple.

Parmi les autres atteintes liées aux pesticides, on retrouve également les perturbations endocriniennes. On estime que sur les quelques 800 pesticides identifiés, 650 seraient des pesticides perturbateurs endocriniens (PPE)) (Girard et al. 2020). Ces derniers contiennent des ingrédients qui ont la particularité de ressembler à certaines hormones naturelles pouvant entraîner une altération du mode d’action endogène des hormones et ainsi perturber les processus naturels tels que la reproduction et le métabolisme. Ceci peut engendrer des troubles de la reproduction comme le débalancement des ratios sexuels, différentes formes d’infertilité et des cancers (Plante et al., 2022). L’article de Girard et al. met en avant les effets des PPE sur le cancer du sein, notamment avec des composés comme le DDT, le lindane ou le chlordane qui sont toujours utilisés. L’atrazine, cet herbicide impliqué dans des cas de troubles de la reproduction, fait l’objet de nombreuses études. Des quantités faramineuses d’atrazine et de ses dérivés ont été détectées dans les eaux du Saint-Laurent. Malgré le passage des eaux dans les stations d’épurations (Montiel et al., 2019), on en trouve aussi dans l’eau du robinet, à des niveaux cependant en dessous des recommandations canadiennes de 5000 ng/L. Par contre, il est à noter que dans 48% des échantillons les concentrations d’atrazine dépassaient les recommandations européennes de 100 ng/L et que l’atrazine était présente dans 100% des échantillons. Cela soulève une autre problématique qui est celle de l’uniformité des recommandations et des autorisations ainsi que celle de l’application du principe de précaution. L’atrazine est par exemple interdite en Europe depuis 2003 où une concentration limite maximale y est bien inférieure à celle du Canada.

Ce caractère de perturbateur endocrinien peut être lié aux effets toxiques sur le système immunitaire, comme dans le cas des cancers, mais aussi entraîner des réactions allergiques accrues, une immunosuppression avec une plus grande sensibilité aux infections, etc. (Dhouib et al. 2016, Bannerjee et al. 1996). Rien de très réjouissant…

Comment sont-ils réglementés?

Un grand pas en avant dans ce domaine a été fait suite à la conférence des Nations unies sur l’environnement de 2001. Plus connue sous le nom de convention de Stockholm, elle a permis de mettre en avant les 12 premiers POPs (polluants organiques persistants) les plus toxiques pour l’humain et l’environnement. Suite à cette convention, un grand nombre de pays signataires se sont alors engagés à éliminer, réduire et/ou surveiller et limiter la production de sous-produits de dégradation toxiques de ces 12 POPs (Convention de Stockholm, 2001). Cette convention est régulièrement mise à jour en fonction des nouvelles connaissances et plus de 180 pays ont ratifié cette convention, la dernière datant de 2021 (Guinée Équatoriale).

Au Canada, les pesticides doivent être autorisés par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), que ce soit pour l’importation, la vente ou l’utilisation et doivent obtenir un numéro d’homologation. Des restrictions d’utilisation, de stockage et des quantités maximales de résidus dans les aliments sont liées à ses autorisations d’usage (MELCC, 2021b). Il est possible de faire des recherches par type de composés actifs, formulant ou nom commercial des pesticides afin de connaître le mécanisme d’action, les modes d’emploi, les risques et précautions ainsi que les effets toxiques (Santé Canada, 2021). 

En plus de l’homologation, ces pesticides sont soumis à différentes réglementations au provincial comme la loi sur les pesticides. Celle-ci a pour objectif de diminuer les atteintes à l’environnement et à la santé humaine en encadrant l’utilisation des pesticides. Elle permet notamment de classer les pesticides, d’établir des permis d’utilisation ou de déterminer quelles sont les contraventions à la loi. Elle vient renforcer la loi sur la qualité de l’environnement qui impose des études d’impact, notamment pour les applications aériennes de pesticides, pouvant mener à des autorisations d’utilisation. Elle permet également d’établir des normes et des contrôles de la qualité de l’eau destinée à notre consommation ainsi que de réglementer la gestion des déchets contenant des pesticides (MELCC, 2021b).

Les municipalités ont également la possibilité d’encadrer l’utilisation des pesticides et le font essentiellement pour l’usage des particuliers (Gerbet, 2021).

Que pouvons-nous faire?

L’usage des pesticides et leur présence dans l’environnement sont de plus en plus contestés et des approches alternatives, comme l’agriculture biologique, l’agriculture raisonnée, et d’autres, continuent à se développer. Pour diminuer l’usage des pesticides, diminuer les conséquences sur l’environnement et la santé humaine, plusieurs gestes peuvent être posés, à différents niveaux. Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement, en 2019, a d’ailleurs déposé à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles de nombreuses recommandations. Parmi celles-ci, on retrouve :

  • «Inciter le gouvernement fédéral à réformer le processus d’homologation pour qu’il protège adéquatement la santé de la population.»
  • «Investir dans les études des produits alternatifs pour le contrôle des nuisances de moindre impact sur la santé, tout en encourageant un changement dans les méthodes de culture.»
  • «Appliquer le principe du pollueur-payeur, par exemple via une taxe sur les pesticides, combiné à l’accès à des subventions pour les biopesticides.»
  • «Effectuer des recherches indépendantes de l’industrie des pesticides sur l’exposition et les risques pour la santé humaine et la santé des écosystèmes.»
  • «Interdire aux agronomes d’être à la fois conseillers auprès des agriculteurs et employés par l’industrie des pesticides.»
  • «Offrir un soutien plus important et pour une période de trois à cinq ans pour les organisations qui veulent développer de nouveaux créneaux sous régie biologique.»

Du point de vue citoyen, les solutions passent par une consommation responsable. Sur le terrain de la maison, privilégiez une pelouse diversifiée. Plusieurs trucs vous permettront d’éviter complètement l’usage de pesticides et d’engrais chimique : Ne pas couper le gazon trop court, faire de l’herbicyclage et du feuillicyclage et faire pousser du trèfle. Au niveau de l’alimentation, choisir des aliments biologiques et diminuer sa consommation de viande (une grande proportion des pesticides est utilisée pour les champs de maïs et soya qui servent de nourriture au bétail). Et n’oubliez pas de faire valoir votre volonté de vivre dans une ville sans pesticide à vos élu.es !

Pour en savoir plus, consultez les sources suivantes :

Bibliographie

Bonmatin et al. (2015). Environmental fate and exposure; neonicotinoids and fipronil. Environ Sci Pollut Res 22, 35–67  

Carson, R., Darling, L., & Darling, L. (1962). Silent spring. Houghton Mifflin

Dhouib I et al. (2016). From immunotoxicity to carcinogenicity: the effects of carbamate pesticides on the immune system. Environ Sci Pollut Res Int. 2016 May;23(10):9448-58. doi: 10.1007/s11356-016-6418-6. Epub

Gerbet, T. (2021) Montréal interdit la vente et l’usage de 36 pesticides, dont le glyphosate. Radio-Canada.

Gilburn AS et al. (2015). Are neonicotinoid insecticides driving declines of widespread butterflies?

Girard, L, Reix, N. Mathelin, C. (2020). Impact des pesticides perturbateurs endocriniens sur le cancer du sein, Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie ,Volume 48, Issue 2 : 187-195,

Gouvernement du Canada. (2021) Liste des produits de formulation de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire

Hassaan, M.A., El Nemr, A. (2020). Pesticides pollution: Classifications, human health impact, extraction and treatment techniques, The Egyptian Journal of Aquatic Research, Volume 46, Issue 3,

Klaassen, C. D. (2008). Casarett and doull’s toxicology : the basic science of poisons (seventh, Ser. Mcgraw hill professional). McGraw-Hill Education

Langlois, V. et al. (2010). Low Levels of the Herbicide Atrazine Alter Sex Ratios and Reduce Metamorphic Success in Rana pipiens Tadpoles Raised in Outdoor Mesocosms. Environmental health perspectives.

Marlatt et al. (2022). Impacts of endocrine disrupting chemicals on reproduction in wildlife and humans

MELCC. (2021).  A propos des pesticides

MELCC. (2021b) Encadrement légal et réglementaire.

Montiel-León et al. (2019). Widespread occurrence and spatial distribution of glyphosate, atrazine, and neonicotinoids pesticides in the St. Lawrence and tributary rivers. Environmental Pollution,Vol. 25:p29-39

Pelosi et al. (2021) .Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat? Agriculture, Ecosystems & Environment, Volume 305 : 107-167.

Plante et al. (2022).  Killing two birds with one stone: Pregnancy is a sensitive window for endocrine effects on both the mother and the fetus 

Regroupement nationaldes conseils régionaux de l’environnement . (2019). Impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement. Favoriser la transition vers un modèle plus durable.

Santé Canada. (2021) Sécurité des produits de consommation, recherche dans les étiquettes de pesticides.

Stanton, R.L, Morrissey, C.C, Clark, R.G. (2018). Analysis of trends and agricultural drivers of farmland bird declines in North America: A review, Agriculture, Ecosystems & Environment, Volume 254, 244-254,

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