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Christelle

Christelle Fournier, entrepreneure et fondatrice de Fertiles, œuvre depuis 10 ans pour la transition socio-écologique à travers la permaculture. L'entreprise soutient des projets écocitoyens, comme les communautés nourricières et les forêts nourricières, et accompagne des fermes régénératrices. Fertiles publie des ouvrages collaboratifs, dont "Notre Ville Permaculturelle", et se déploie en Europe francophone pour partager ses pratiques de durabilité et de responsabilité sociale des entreprises.

Quelles sont vos principales préoccupations environnementales en ce moment ?

Je me pose beaucoup de questions concernant l’éducation autour des limites planétaires et du manque de compréhension des institutions qui ne se focalisent principalement que sur une des neuf frontières planétaires, soit les enjeux climatiques… L’agriculture telle qu’on la pratique en majorité est responsable en très grandes parties de la dégradation des six frontières qui ont été atteintes. Il est temps de comprendre en profondeur ces enjeux, sinon comment avoir des réponses politiques adéquates?

Quelles sont vos stratégies pour lutter contre l'éco anxiété ?

Bizarrement, je ne crois pas ressentir d’écoanxiété. La nature est particulièrement impressionnante, elle sait faire avec ou sans nous. Nous sommes maîtresses de notre destin sur cette belle planète. Je suis plus anxieuse face aux enjeux politiques et sociétaux qui tournent autour de ces questions, car finalement, le problème est un problème humain. Nous ne nous entendons pas entre nous et voilà pourquoi nous continuons à détruire tout. Nous devons agir, c’est tout! Il n’y a pas d’autres avenues.

Écoféministe ou pas ?

Clairement écoféministe. Comment ne pas l’être? Les enjeux sociaux à l’échelle planétaire et environnementaux sont liés. Si on caricature, les décideurs des grandes politiques et des grandes entreprises sont en écrasante majorité des hommes blancs cisgenre de quarante ans et plus. Leurs décisions influent sur les enjeux sociaux des minorités à travers la planète et également sur les enjeux environnementaux. Par ruissellement, les personnes les plus touchées par des conditions déplorables de vie liées à ses décisions sont les femmes et les enfants des pays pauvres… Bien sûr que de nombreuses personnes subissent les conséquences, mais disons que je ne vois pas comment ne pas être écoféministe dans ce monde, si on a pour valeurs éthiques l’équité sociale et le vivant.

Qu'est-ce que le Réseau des femmes en environnement représente pour vous ?

Un regroupement de femmes qui avancent dans le même sens pour prendre soin de l’environnement et du social. Chacune acte à son échelle via des valeurs de care. C’est la force du collectif!

Vous vous identifiez comme une entrepreneure écoféministe. Comment l’écoféminisme influence-t-il vos actions quotidiennes ?

En tant qu'entrepreneure écoféministe, je me pose beaucoup de questions sur mes choix de collaborations, sur les personnes à qui j’offre des opportunités, à qui je fais un ‘prix sympa’ et à qui je décide de faire confiance. Souvent, mes réponses m’amènent vers les femmes, même si, parfois, il est plus facile de voir les hommes car ces derniers se manifestent davantage. Cela demande donc d’aller chercher les femmes, et plus encore, celles qui font partie d'autres minorités, même si elles sont moins visibles. Parfois, cela signifie aussi de renforcer leur empuissancement, de prendre leur défense dans certaines situations et de soutenir leur confiance.

C’est souvent plus lent, plus risqué. Mais elles me motivent à négocier mieux pour leur offrir de meilleures conditions de travail. De plus, je me demande constamment si les mandats que Fertiles prend sont en adéquation avec cette vision du monde. Ça ne peut jamais être parfait, mais disons que c’est ma boussole. Je reste une femme blanche immigrante d’un pays riche, alors je dois faire ma part, même si cela me coûte en temps et en prise de risque. On n’est jamais dans le contexte idéal pour agir, mais je pense que nous devons essayer chaque fois que l'opportunité se présente de partager nos privilèges.

Vous êtes experte en permaculture. Comment la décririez-vous, et en quoi est-elle liée à vos valeurs écoféministes ?

L’écoféminisme et la permaculture sont deux mouvements distincts mais porteurs d'une même vision : celle d’un monde plus juste, équitable et en harmonie avec l’ensemble des êtres vivants. Depuis les années 1970, l’écoféminisme explore les liens entre l’oppression des femmes, la dégradation de l’environnement et les enjeux d’intersectionnalité. La permaculture, pour sa part, imagine un monde en symbiose avec les écosystèmes, en visant la création de systèmes durables et autonomes. En tant que permacultrice, je me reconnais donc pleinement dans ces valeurs écoféministes.

L’écoféminisme est une réponse aux crises environnementales et aux iniquités de genre. Il met en lumière que la domination de la nature et l’oppression des femmes partagent des racines communes: elles découlent de structures patriarcales et capitalistes. Les écoféministes appellent ainsi à une justice écologique qui inclut l’équité de genre, en considérant que la dégradation de l’environnement et la marginalisation des femmes sont indissociables.

La permaculture, quant à elle, repose sur trois principes éthiques: prendre soin de la terre, prendre soin des humains et partager équitablement. En se basant sur cette éthique, la permaculture propose des solutions concrètes pour une vie harmonieuse avec l’ensemble des vivants incluant les humains. L’écoféminisme s’intègre naturellement dans la dimension sociale et éthique de la permaculture, en soulignant l'importance de la justice sociale et de l’équité de genre dans la création de systèmes durables.

Enfin, je n’ai pas ‘choisi’ d’être écoféministe : je suis née femme dans un monde inéquitable, et, pour rester fidèle à moi-même et à mes valeurs, je manifeste un désir d’équité pour moi-même et pour les autres. Je suis écoféministe, simplement parce que le monde est inéquitable. C'est tout.

Vous avez écrit le livre Notre ville permaculturelle, qui met en avant des femmes engagées. Quel message souhaitez-vous transmettre à travers cet ouvrage, et pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur des femmes dans ce contexte ?

Notre ville permaculturelle est avant tout un livre sur la permaculture, avec un accent marqué sur la permaculture sociale. Comme j'aime le dire ironiquement, le hasard a voulu que seules des femmes collaborent à ce projet. Nous sommes onze autrices expertes-praticiennes, entourées d’une équipe féminine pour les illustrations, le graphisme, la communication et la distribution à tarification équitable. Si ce livre avait été écrit à 100 % par des hommes, en aurait-on parlé ? Non, car c’est aujourd’hui la norme. J’ai voulu briser cette norme.

Ce n’est pas un livre féministe dans son propos : sur 250 pages, seules trois pages abordent ponctuellement la question de genre – dans le texte de Leyla Lardja sur l'intelligence collective, celui de Nadia Ponce Morales sur le leadership inclusif, et dans le mien sur le genre en permaculture. Oui, c’est donc un livre écoféministe par sa forme et, par extension, par son essence.

Nous ne savions pas écrire de livres, la plupart d'entre nous n’avions jamais écrit. Quant à l'édition… comment faire? Les deux maisons d’édition intéressées exigeaient soit une préface d'un permaculteur connu au Québec – un homme donc – soit un titre du type "Parole de femmes en permaculture". J’ai donc refusé. Nous n’écrivons pas en tant qu'expertes pour être validées par un homme ou pour souligner que nos voix comptent parce que nous sommes des femmes.

Fertiles a donc édité le livre. Cela a coûté très cher pour une petite entreprise, mais je suis fière. Fière d’avoir préservé notre éthique et notre posture. Tout cela a permis à Fertiles de créer une branche dédiée à l'édition de livres. Depuis, nous avons édité un second ouvrage – Forêt nourricière boréale, réflexions et particularités québécoises – écrit par le collectif boréal, composé de quatre permacultrices du Québec.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées en tant que femme dans le secteur de l’environnement, et comment les avez-vous surmontées ?

Les principales difficultés que j’ai rencontrées en tant que femme dans le secteur de l’environnement tournent autour de la confiance et du sentiment d’imposture, que j’ai dû apprendre à dépasser. Étant d'origine française, je viens d’un pays bien plus patriarcal et conservateur que le Québec, ce qui m’a, paradoxalement, donné des outils pour avancer sans trop prêter attention aux commentaires négatifs. D’ailleurs, ici, ils sont peu nombreux en comparaison. Je me sens aussi renforcée par les femmes québécoises, qui, depuis mon arrivée il y a quinze ans, m’ont impressionnée et inspirée. Je me sens forte grâce à elles.

L’une des difficultés les plus marquantes reste toutefois la faiblesse des financements et des budgets liés aux projets environnementaux. Si je veux rémunérer correctement chacun·e et permettre à Fertiles de progresser, il m’a fallu apprendre à négocier – un défi personnel. J’ai donc co-créé des accords de réciprocité, qui apportent une posture nouvelle et plus confortable à la négociation, et que j’adapte selon mes clientes. J’ai même eu la chance de faire une TedX sur le sujet - https://www.youtube.com/watch?v=oB0sjgZ_xsQ.

Quel est votre principal conseil pour celles qui veulent entreprendre dans un domaine alliant environnement et affaires ?

Mon principal conseil pour celles qui souhaitent entreprendre dans un domaine alliant environnement et affaires serait de voir le monde des affaires comme un terrain d’action pour concrétiser des idées. Pour moi, entreprendre est une manière d’agir pour une planète plus viable et souhaitable. Aujourd’hui, tous les organismes, qu’ils soient publics ou privés, sont engagés dans le fameux virage vert. Plus nous serons nombreuses à y apporter nos valeurs, plus nous pourrons coconstruire un monde à notre image. Les affaires, c’est en quelque sorte l’un des espace de construction de la société ; si nous voulons qu’elle soit écologique et inclusive, alors agissons en ce sens.

C’est vraiment le moment idéal : il existe une multitude de formations gratuites et de soutiens spécifiques pour les femmes entrepreneures. Les réseaux, notamment ceux dédiés aux femmes, favorisent le partage et le care, des éléments essentiels pour avancer ensemble. Le Québec regorge de ressources et de regroupements pour les femmes prêtes à se soutenir – profitons-en!

Un mot pour la fin ? 

Si vous souhaitez découvrir plus de femmes inspirantes et engagées dans la permaculture, je vous invite à écouter le balado Les Permacultur’ELLES. C’est un espace pour mettre en lumière ces femmes formidables qui façonnent, chacune à leur manière, un avenir souhaitable. https://open.spotify.com/show/4a9Rcp0sX42NXbZnyzDKja