Réseau: Paule, parlez-nous de vous.
Paule: Je suis née à Montréal en 1980 et comme bien des enfants urbains de ma génération, j’ai grandi en jouant au ballon chasseur dans une ruelle d’asphalte. C’était là un contraste avec mes étés qui se passaient davantage en campagne au bord de rivières et de lacs dans le bois. Puis, comme jeune adulte, le milieu urbain me stimulait grandement pour les aspects culturels et artistiques que je chéris encore aujourd’hui, mais j’ai aussi été rapidement initiée à la randonnée moyenne durée. Celle-ci me permettait d’entrer dans cet espace de connexion avec la nature qui est, aujourd’hui, au cœur de ma mission d’entreprise.
Avant l’entrepreneuriat, j’ai fait un long parcours universitaire en histoire de l’art, en éducation postsecondaire et en sémiologie des arts visuels (Doctorat) pour me retrouver, bien trop de diplômes à la main, avec ce désir profond et irrésistible de prendre soin de la nature qui me semblait de plus en plus en péril. La manière la plus rapide et la moins coûteuse que j’ai trouvée pour pouvoir en faire un métier fut le DEP en horticulture. Passionnée par le sujet, mais aussi critique face à mes expériences de travail qui ont suivi l’obtention de ce diplôme, j’ai continué de me former (spécialisation en horticulture, certification en arboriculture, études de 2e cycle en foresterie) pour approfondir et développer une approche singulière qui cherchait ardemment à se déployer.
C’est au bout de ce parcours d’apprentissages théoriques et d’applications pratiques qu’est née Cœur d’épinette : une rencontre entre l’arboriculture et l’art, entre le travail de la terre et la créativité, mais aussi entre la transmission et la connexion.
Réseau: Dites-nous en plus sur Coeur d'épinette, votre «entreprise qui fait de l'arboriculture avec pas d'chainsaw»?
Paule: « L’arboriculture avec pas d’chainsaw » est un statement, c’est-à-dire qu’en créant cette entreprise, je souhaitais faire valoir des aspects de l’arboriculture différents de ceux qui viennent spontanément en tête lorsqu’on aborde ce sujet, comme l’abattage, l’émondage et la culture des arbres en pépinière. Quand on veut redéfinir quelque chose, rien de tel que de mettre en pratique sa vision dans le monde.
Chez Cœur d’épinette, l’arboriculture avec pas d’chainsaw se décline en trois volets :
- un volet expertise, incluant du service-conseil et des inspections d’arbres,
- un volet de création d’aménagement arboricole écologique et
- un volet d’éducation pour lequel j’offre des ateliers de nature urbaine à toustes ainsi que des formations spécialisées et personnalisées aux organismes de verdissement.
L’arboriculture et la foresterie sont aussi des domaines typiquement masculins. Voilà un autre stéréotype que j’espère pouvoir effriter en tant que femme à la tête d’une entreprise qui porte un projet d’arboriculture et de foresterie urbaine.
Réseau: Vous invitez non seulement à planter un arbre, mais aussi à créer un écosystème. Quelle est votre vision de l'aménagement arboricole?
Paule: On valorise généralement une plantation en parlant du nombre d’arbres plantés et des bénéfices écosystémiques liés à ceux-ci. C’est là une vision de la plantation d’arbres qui est à mon sens symptomatique de notre obsession pour la productivité et d’une vision anthropocentrique de la nature. Le paradoxe est que ces deux rapports au monde font partie du problème, ils contribuent à l’érosion de la nature.
En ce sens, j’aime penser la plantation d’arbres en termes de lenteur, de communauté et d’interactions. C’est pourquoi, à mon sens, un arbre ne devrait jamais être planté seul, mais toujours au sein d’un aménagement où chaque élément participe d’un écosystème, c’est-à-dire où chaque végétal possède plusieurs fonctions qui permettront, au fil du temps, de maintenir cet écosystème en santé.
Ma vision du végétal n’est pas pour autant uniquement fonctionnelle (« je plante ceci parce que ça sert à cela »), car c’est là un rapport à la nature que je trouve aussi réducteur. Venant du domaine des arts, je crois plutôt en l’importance de l’esthétique lorsqu’on fait du verdissement. Quand je parle d’esthétique, ce n’est pas le caractère purement ornemental des végétaux choisis qui m’intéressent, mais bien la proposition d’une expérience particulière de la nature au sein d’un espace verdi.
Je crois qu’une grande partie de la transition écologique en milieu urbain repose sur un désir de prendre soin de la nature et que celui-ci est grandement éveillé par une diversité d’expériences de la nature qui soient inspirantes, émouvantes, singulières, tout en étant écologiques.
Réseau: Vous offrez également des ateliers pour différents groupes d'âges, pouvez-vous nous en parler?
Paule: Cultiver un arbre, c’est aussi cultiver notre connexion avec celui-ci et avec la nature urbaine qui l’entoure, quel que soit notre âge. Lors des ateliers, je transmets une manière de voir les arbres et les autres organismes vivants à travers les relations qu’ils entretiennent entre eux plutôt que dans leur individualité. Cela permet de nous inclure aussi dans ce tissage relationnel et de trouver des solutions créatives ensemble.
Les ateliers pour les enfants comme pour les adultes sont à la fois scientifiques, créatifs et sociaux, par exemple, l’un d’entre eux propose l’observation et l’imitation des motifs dans la nature pour dessiner un espace destiné aux humains, alors qu’un autre offre la possibilité de créer une œuvre de land art collective (œuvre éphémère constituée des éléments de la nature) pour honorer un lieu. La promenade arboricole est quant à elle un événement où l’on apprend non seulement à distinguer les arbres de son quartier au fil d’un parcours, mais c’est aussi une occasion de se réunir et de discuter ensemble à propos des enjeux environnementaux.
Réseau: Et maintenant, quelles sont les prochaines étapes pour vous et pour Coeur d'épinette dans les prochains mois/années?
Paule: Cœur d’épinette tisse de belles collaborations avec des acteurs de la transition écologique dont les motivations correspondent à ses valeurs et se mesurent à son enthousiasme. Je pense au CRE, à SOVERDI et à Solon collectif, par exemple. L’objectif, au fil des prochaines années, sera de pérenniser certaines de ces collaborations, mais aussi d’en développer d’autres. Car, comme les arbres en santé, je souhaite que mon entreprise participe d’un écosystème riche et vivant duquel elle se nourrit et auquel elle peut contribuer.
Comme je débute, j’ai ce désir de rester très près de ma clientèle et de mes collaborateurs-trices, d’être présente lors de chaque étape. Toutefois, l’importance de transmettre cette approche singulière, mais aussi d’accueillir d’autres visions au sein de l’entreprise se fait ressentir. Je rêve d’une équipe dont les membres font, à leur manière bien singulière, de l’arboriculture avec pas d’chainsaw!